Paul Bernard / Xavier Le Roy - entretien téléphonique - Produit de circonstances - 06 avril 2009

 

Produit des circonstances est une pièce de 1999. A t elle été beaucoup jouée depuis ?
 
Une centaine de fois. En anglais, en français, une ou deux fois en allemand.
 
 
Comment est-elle annoncée dans les lieux ou vous la présentez ?
 
Cela dépend des contextes. Dans les milieux de la danse, c’est présenté comme un spectacle. J’ai eu l’occasion de le présenter également à la faculté devant des étudiants. Là, c’est présenté comme une conférence toute simple. D’autres fois c’est présenté comme une « lecture- performance »
 
A-t-elle été jouée par d’autres personnes ?
 
Oui Il y a 2 personnes qui se le sont appropriés et ont présenté un spectacle utilisant le texte ou des aspects de ce spectacle.
 
 
Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre pièce ?
 
Au départ, j’ai eu cette proposition de participer à Body Currency.  C’était une invitation de Marten Spangberg, Christophe Wavelet et hortensia Völckers de faire quelque chose sur les possibles liens entre danse et biologie et plus largement entre art et science. Le contexte était ce événement lors du Wiener FestWochen qui proposait de montre pendant 3 jours des spectacles et / ou conférences, théoriques et pratiques qui traitent de question sur les notions de « performances » au sens Anglais du terme. On me posait souvent la question de comment je j'étais passé de la biologie à la danse, de la science à l’art, mais on n ema’vais jamais demandé de faire quelque chose directement en lien avec cette question. Je n’avais pas d’idée précise de ce que j’allais pouvoir faire. J’ai commencé à chercher des liens sur les façons dont l'art et la science sont perçus. Je me suis mis à relire des textes scientifiques. J’ai d’abord relu ma thèse puis d’autres livres comme The Cell, livre de référence que l'on utilise à la faculté. Au fur et à mesure que je lisais et que je tentais d’écrire quelque chose, je me suis rendu compte que je n’étais capable que de dire ce que moi j’avais fait. Je n’étais pas capable de faire de liens théoriques si ce n’est que pour moi. Le lien qui existait entre l’un et l’autre, c’était moi, mon histoire. En fin de compte, Produit de circonstances est né de l’impossibilité de faire ce que l’on attendait de moi. C’est à dire quelque chose de général sur l’associant, les ressemblances, les différences des pratiques et théories en jeu dans 2 disciplines différentes.  Il y avait une impossibilité à produire une forme théorique. Et en même temps, j’aurais pu faire un spectacle pour illustrer la question. Mais cela non plus je n’y arrivai pas. Il y avait impossibilité dans une forme et dans l’autre. C’est ce qui m’a fait choisir cette forme-là. J’ai commencé à écrire des choses sur mon passage d’ue discipline à l’autre, d’un milieu à un autre, d’une position sociale à une autre, sur la transition. Le choix du format de la conférence est venu à la fois de l’invitation de Body Currency qui était ouvert à tout type de projet. Il n’y avait pas d’attente spécifique vis-à-vis d’un format. Le festival voulait associer à la fois la théorie et la pratique, mélangeant artistes et théoriciens. C’était donc un terrain qui était favorable à cette pratique-là.
 
 
Est ce que vous connaissiez un peu les travaux d’artistes conceptuels qui avaient utilisés ce type de formats ?
 
Non, j’ai découvert après que ce genre de choses se faisait dans les arts plastiques. J’ai découvert le travail de Robert Morris et Éric Duyckaerts. Mais je n’avais pas vraiment entendu parler de ce format comme quelque chose qui se pratiquait. Je connaissais le travail de Dan Graham, Performer/Audience/Mirror, mais je n’avais pas réalisé alors que c’était une sorte de conférence. C’est en travaillant que je me suis aperçu que ce format existait dans les arts plastiques mais pas dans les arts chorégraphiques.
Cette pièce a été faite pour un contexte très précis, je n’avais pas du tout l’intention de la répéter par la suite. C’est le retour du public qui me l’a fait considérer comme un spectacle. Cela m’a incité à trouver un autre contexte pour la présenter, je l’ai donc présenté l’année d’après dans un festival de danse Körper Stimmen au Podewil à Berlin. Les organisateurs de ce festival avaient bien voulu prendre le risque de présenter ceci comme un spectacle de leur programme. Il y avait cette fois-ci une attente pour un spectacle de danse et je voulais voir la réception dans ce contexte précis. Cela permettait de voir de quelle manière le contexte avait joué dans la pièce. Les premières fois il y avait eu pas mal de mouvement parmi les spectateurs, certains sont partis après quelques minutes, un spectateur m’a demandé au bot d’un moment si j’allais commencer à danser, quelques instants plus tard il a ensuite précisé « je veux dire quand allez vous vous exprimer par des mouvements » . Mes les discussions, questions et réponses, à la fin, qui font parti de ce spectacle étaient très excitantes. Parfois assez agressives, mais aussi animées de beaucoup de curiosité. Il y a soir nous avons du être mis dehors par l’équipe du théâtre qui voulaient fermer le lieu car cela la discussion avait durée plus d’une heure et avait dépassé le temps d’ouverture du leu. À ma surprise, c’est une pièce qui par la suite a été encore demandée et dans d’autres circonstances inattendues. Pour cette nouvelle version de la pièce j’avais retravaillé un peu le texte. A ce moment là, je me suis mis à lire pas mal de choses comme les travaux de Bruno Latour, d’Isabelle Stengers, lectures que j’ai eu à posteriori et qui ont re-nourri la pièce.
 
 
Vous parlez souvent de vérité dans le contenu de votre pièce. Vous commencez par parler d’une perte de croyance dans la science comme un accès à la vérité. Celle-ci est produite, elle n’est plus le résultat d’une recherche. En somme, l’accès à la vérité ne pourrait se faire qu’au travers d’une représentation.
 
Quand j’ai pris ma décision de faire de la recherche scientifique, j’avais une vision assez idéaliste, pour ne pas dire romantique de la science. Il y avait une sorte de « grand trou noir » et je pensais que la science cherchait à découvrir, expliquer, comment le trou noir fonctionne, de quoi il est fait. La science devait pouvoir permettre de régler des choses, de découvrir des problèmes, d’améliorer des conditions de vie, de guérir ou d’éviter des maladies. Je travaillais sur le cancer, il y avait donc un certain idéal. Puis je me suis rendu compte que les conditions de travail et la manière dont la science est inscrite dans la société sont finalement similaires à toutes autre activité: on est dans une obligation de produire du résultat, du contrôlable. Il faut travailler sur des choses qui vont potentiellement rapporter d'autres choses. Il faut produire des preuves, ou montrer que notre travail peut potentiellement en produire. On est pris dans ce cirque-là.
Toutes les activités sont prises dans ces dynamiques là. En gros j’avais l’impression que l’on me demandé de produire de la science plus que de chercher. Donc l’idée de la vérité que j’avais de la science était très différente que celle de la science que je devais pratiquer.
 
 
Alors que l’on pourrait penser, naïvement, que l’art comme la science échappent à ces logiques de rentabilité…
 
Malheureusement ce n’est absolument pas le cas. En arrêtant ma carrière de scientifique j’était assez naïf pour croire que j’allais échappé à cette logique de rentabilité qui me semblait être un paradoxe dans le milieu de la recherche scientifique. Mais évidemment je me suis rendu compte que c’était une fuite impossible et que l’art n’était pas une exception. Les modes de fonctionnement qui dominent, régissent ou gouvernent le monde actuel sont liés à des principes de production qui doivent être, rentables, mesurables et permettrent une croissance exponentiel des valeurs marchandes.
La pièce tente de dire quelque chose sur le fantasme que l’on peut avoir de la science et de l’art et encore plus de leur association. On  a une certaine représentation de ce que la science peut, une représentation de ce que l’art peut. Au final, l’un et l’autre se rejoignent dans la conception que l’on peut avoir de ce qu'est la découverte de quelque chose de « nouveau ». Ça n’est pas spécifique à la science, on le retrouve aussi dans l’art contemporain : la recherche d’une nouvelle forme de pensée, de vision. Avec toutefois une différence de taille : la science (plus spécifiquement la biologie moléculaire qui est le domaine dans lequel je travaillais) a besoin d’énormes moyens pour la moindre expérience. Au contraire, en art, on peut trouver des formes de recherche qui permettent de faire des choses avec peu de moyens.
 
 
Si l’on considère cette conférence comme une performance, comme une représentation, on peut s’interroger sur la valeur de ce qui est dit, sur son caractère fictionnel.
 
Oui, c’est pour ça que j’ai pris la décision de publier le texte. Un des retours qui a été fait sur la pièce et qui revenait souvent, c’était « mais est-ce que c’est vrai ou est-ce une fiction » ? Oui, c’est une fiction, c’est une de mes fictions. Toutes les expériences que je raconte sont des expériences vécues, mais en fait on peut très facilement imaginer que tout a été inventé ou empreinté à droite et à gauche pour constituer une histoire.  La pièce raconte aussi, ce rapport entre les constructions, les circonstances qui nous fabriques mais que l’on crée en partie nous même en retour. Nous sommes construit des conditions que nous construisons. Ce jeu là est comme la création d’une fiction.
 
 
 
Vera Knolle et Petra Sabisch ont proposé un commentaire de la pièce de Xavier Le Roy dans I didn't mean to hurt you (2003).

Body Currency par Mårten Spångberg, Hortensia Völckers et Christophe Wavelet dans le cadre du Wiener Festwochen, Juin 1998,Vienne, Autriche,